Maroc : – Soyez les bienvenus !
Mauritanie : – La bienvenue !
Sénégal : – Terranga !
6600 kms de route. Des langues de béton. Le ciment est la deuxième matière première la plus consommée au monde. Après l’eau. Des trainées d’asphalte. Du sable à perte de vue. Le désert du Sahara. Des routes. Et des pistes.
La mélopée du macadam nous accompagnés les 6 jours qu’a duré la traversée. Avec ses obstacles physiques : congères de sable, nids de poule, accident, barrages de police, passages de frontières,…
Parmi les images marquantes : à Laayoune, de nuit, un camion à sardines sur le flanc, décortiqué comme une crevette par l’accident, éventré dans toute sa chair de métal au milieu de la chaussée. Deux morts, une famille, à deux doigts de la ville d’arrivée, après des kilomètres de route, aspirés dans la nuit au milieu de la multitude de corps gras des sardines, balayés lors de notre passage par une armada de policiers.
Parmi les images marquantes : des compagnons de route, en pleurs, après des contrôles de police trop durs où les coups de pression (« on va mettre votre voiture à la fourrière, rendez-vous chez le procureur la semaine prochaine ») ont raison des sourires habituellement affichés sur les visages.
Au total, c’est pas moins de 40, voire 50 contrôles qui nous attendent… ça devient notre quotidien, notre sport journalier. On prépare des fiches avec nos noms, nos numéros de passeport, l’immatriculation du véhicule, nos adresses respectives,… La musique est bien huilée. Chaque poste de police a son style, ses costumes, ses armes, son théâtre.
Selon les heures de la nuit, c’est un théâtre d’ombre ou de lumière dont il s’agit. Avec masques souriants ou masques grimaçants.
Parmi les situations marquantes : le racket du rond-point de Dakhla, situé au cul du Maroc, ville de villégiature des kite-surfeurs de tous les horizons, et bien connu de tous les pilotes de 4×4 qui transitent entre France et Afrique. Le rond-point de Dakhla avec son policier tout droit sorti d’un mauvais épisode de Tintin qui va s’évertuer deux heures entières à dérouler son mauvais théâtre de terreur avec ses figures de style éprouvées de longue date. Même tirades depuis des années. Salle comble tous les soirs. Public attentif et aux ordres, qui donne la réplique sans y croire, tant la pièce est jouée d’avance. Créativité policière qui dans le lot de papiers administratifs ou sur la voiture cherche la faille : une case manquante sur une assurance, une ampoule, un feu stop,… La moindre faille se marchande en dihrams ou en euros. Et nous voilà pris dans la nasse du filet : une case manque sur notre assurance française, nous ne sommes pas assurés au Maroc. On l’apprend après le dixième contrôle, mais ça va nous coûter cher, très cher. Le policier fait monter l’enchère à 5000 dirhams. Joli coup de poker pour asseoir son salaire dans la soirée. A nous d’être bons comédiens pour faire diminuer l’enchère. Mais le manuscrit original de la pièce sent d’ores-et-déjà le purin. Le titre de la pièce est annoncé. Adama tiendra le premier rôle, car si l’on sent régulièrement le racisme anti-noir tout au long de notre voyage, c’est avec le noir qu’on traite. Le blanc, lui doit rester dans la voiture et ne pas voir le transfert d’argent. Dans les passeports, des billets. On appelle ça le café. Le blanc, on ne sait jamais pourrait nous causer des problèmes.
J’écrivais dans un billet précédent que nous avions des passeports de privilégiés. Je l’ai toujours su en voyageant. Un passeport français est un sésame incroyable pour accéder sans encombre à l’incommensurable caverne d’Ali Baba qu’est le monde. Equation mathématique simplissime : un Français peut voyager partout dans le monde, il est le bienvenu ! Son pouvoir d’achat met tout le monde d’accord. A l’inverse, un Africain, ou un Asiatique peut toujours se brosser, ou s’armer d’une immense patience (parfois, il vaut mieux croire en la réincarnation pour y arriver) pour toucher ce rêve de venir en France. C’est l’équation du 21ème siècle avec ses flux de migrants. Ces flots incessants qui viennent s’échouer sur les murs de l’Occident. Ils ne savent pas combien la vie est dure en France, que la plupart passeront des nuits d’angoisse dehors dans des abris de fortune, des bidonvilles improvisés. Mais l’on ne peut pas leur interdire cette expérience qui puise l’eau de ses rêves dans la curiosité. Traversez le monde entier et faites l’expérience suivante : soulevez le moindre caillou dans le désert le plus reculé : vous trouverez toujours un français. Les français sont partout dans le monde, et même sur la lune. Ils sont curieux ces français. Ils sont installés dans tous les coins du monde. Des migrants célestes, des nababs de l’expatriation. Avec leurs deniers, ils déplacent leur coquilles d’escargots à la vitesse du guépard. Nous sommes des migrants magnificents ! Nos ongles sont propres, nos cheveux bien taillés, nos mains désinfectées. Nous touchons le monde avec des gants de soie sans se rendre compte que nous sommes d’immenses privilégiés en nous prenant pour des aventuriers et regardons les migrants échouer comme des albatros sur nos plages dans des postures étranges et incongrues.
En Asie, j’ai toujours observé avec circonspection tous ces aventuriers occidentaux avec leur montres dernière génération, leurs chaussures de trail dernier cri, leurs parures de course moulées dans des textiles high tech, achetées chez Decathlon, fabriqués par des mains asiatiques. Ces aventuriers modernes qui suivent des guides locaux en tongues.
Au final, nous nous sommes fait expulser du Maroc au rond-point de Dakhla avec obligation de filer vers la Mauritanie. Et à la frontière Mauritanienne, obligation de se faire escorter et de se fondre dans un convoi avec tous les sénégalais qui importent dess voitures au Sénégal en provenance d’Espagne ou de France. Le passeport d’Adama est saisi à l’entrée, confisqué et restitué à la sortie. De l’avis de tous les voyageurs français expérimentés que nous avons croisés, si la voiture avait été au nom de Florent ou de Philippe, nous aurions été libres de nos mouvements.
On traverse le monde avec la couleur de notre peau. C’est une leçon du monde actuel. J’ai beaucoup voyagé avec Adama et sa famille, en compagnie de ma famille. Notre premier voyage nous avait mené en Birmanie. Nous avions loué un minibus et traversé le Myanmar via Rangun, Kalaw,… Lors d’une halte à Bagun, avec Adama, toujours prompts à taper le ballon avec les jeunes du coin, nous avions entamé une partie de volley-ball sur une place du village. Après la partie, assis à côté d’Adama, je me souviendrais toujours de ce groupe de jeunes moines avec leurs belles tenues safran, nous entourer et me parler avec leurs doigts. En montrant ma peau, ils faisaient un signe de pouce vers le haut pour me signifier que ma couleur de peau était bonne. Et en montrant Adama, un pouce vers le bas en grimaçant. La sagesse safran me monta directement au nez et nous les chassâmes avec force colère.
Il faut toujours se méfier des apparences et apprendre à parler le langage du coeur. Se fier au intuitions. Être sensible aux énergies. Derrière l’apparence de sagesse que confère les robes peut se cacher des coeurs impurs ou imparfaits. Derrière les beaux costumes des politiques se cache souvent les dents acérées du pouvoir et de l’égoïsme. Derrière les belles photos de National Geographic, la réalité est souvent bien autre. C’est pour cela que je voyage, et coupe mon écran de télévision. C’est pour cela que je voyage, et me méfie de la Googlelisation de l’information comme de la peste. C’est pour cela, que nous voyageons avec la grandeur de nos peaux. Et la saveur de nos coeurs est toujours intacte.
Bien, vous êtes arrivés, en forme apparemment, et déjà dans l’action sur place.
Je vois que vous avez rencontré quelques difficultés de parcours avec le N&B ; bravo pour ta façon de l’exprimer.
Bonne suite pour cette belle aventure humaine.
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Magnifique billet… magnifique découverte que votre blog, heureuse de vous avoir trouvé par hasard !
A bientôt,
Camille
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Belle manière de dire la diversité du monde… De belles rencontres et de grandes injustices. Merci de nous faire partager tes voyages.
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